Concertation et communication, un mariage de raison

Publié le par Julien GOUPIL

Concertation et communication, un mariage de raison

Source : CAP'COM

Le blocage de certains grands projets locaux comme la volonté des maires de faire de la participation des habitants une de leurs priorités placent les processus de concertation dans l’actualité. Les communicants publics s’en saisissent mais sans toujours parvenir à y trouver leur place. Pourtant la communication est une condition essentielle du bon fonctionnement de la concertation et un facteur de qualité et d’efficacité de celle-ci. Petit précis méthodologique essentiel pour asseoir le rôle de la communication dans les différentes étapes d’un processus de concertation.

Quelle devrait être la place de la communication dans les dispositifs de concertation ?

LA COMMUNICATION EST UN ÉLÉMENT INTRINSÈQUE DU PROCESSUS DE CONCERTATION

La mobilisation des parties prenantes est l’une des actions les plus complexes dans la conduite des processus de concertation. Il faut faire connaître l’existence de la concertation, faire comprendre aux parties prenantes qu’elles peuvent être concernées par l’objet de la discussion, convaincre certaines d’entre elles qu’elles sont légitimes à participer aux discussions, maintenir leur intérêt tout au long du processus pour qu’elles ne l’abandonnent pas en cours de route et, finalement, leur faire savoir à quoi a servi leur mobilisation en leur rendant compte des décisions qui sont prises à l’issue du processus de concertation. Toutes ces actions nécessitent de mobiliser les ressources de la communication pour transmettre les bons messages au bon moment.

Si elle ne peut ni ne doit se résumer à de la communication, la concertation est à bien des égards un processus communicant : la communication est donc un élément intrinsèque du processus de concertation. La communication est alors une condition du bon fonctionnement de la concertation et un facteur de qualité et d’efficacité de celle-ci.

La communication sur la concertation est aussi une prise de parole de la collectivité qui, au même titre que les autres prises de parole, compose l’image et le discours de l’institution. Il est donc impératif de la penser de façon singulière et de la mettre en œuvre dans le cadre d’une cohérence globale de la communication institutionnelle. Il faut également la situer dans le temps long de l’action publique. À l’instar de ce que fait la Ville de Nantes, historiquement très engagée dans une démarche de « Dialogue citoyen » visant explicitement l’idéal d’une « collectivité collaborative », la communication doit être au service d’une identité et d’un projet politique : « Les dispositifs de participation locaux ne sont pas standardisés, difficilement comparables entre villes, et fonctionnent comme une sorte d’« AOC » démocratique », analyse Sandra Rataud, directrice de la mission Dialogue citoyen de la Ville de Nantes[1]. Ce qui nécessite une implication à plusieurs niveaux. « La communication sur un sujet permet de raconter la ville tandis que la communication sur le Dialogue citoyen précise la relation attendue par la Ville. Cela permet de mettre en avant ce que cette relation produit et ce qu’elle propose, les outils dont les habitants peuvent se saisir pour participer. On communique donc à la fois sur le dialogue et pour le dialogue », complète Gisèle Wettling, chargée de communication à la Direction de la Communication de la Ville de Nantes[2].

L’AMPLEUR DE LA COMMUNICATION EST UN VRAI CHOIX STRATÉGIQUE.

Comme pour n’importe quel projet, la communication vient se mettre au service de la concertation et mobiliser les moyens adéquats pour en atteindre les objectifs. Il ne faudrait pas tomber dans le travers – souvent observé – qui consisterait à réduire la concertation à une opération de communication. « Ce qui est inacceptable pour les populations locales, c’est la politique du fait accompli et les fausses concertations qui ne sont que de la communication pour faire passer des décisions déjà prises », déclare Alain Chosson, Secrétaire général de la CLCV[3]. Non sans préciser : « Avec un bon débat public, on peut amener les gens à prendre en compte l’intérêt général. Et l’élu garde son rôle d’arbitre, ce qui ne veut pas dire que ses décisions doivent être arbitraires ! »

Il ne faut pas pour autant sous-estimer l’importance de la communication dans un processus de concertation. En effet, les opposants aux projets qui font l’objet d’une concertation (il y en a toujours) s’empareront systématiquement des éventuelles failles de la communication du maître d’ouvrage (faiblesse ou surabondance des supports, moments choisis pour communiquer, nature des chiffres donnés au public, etc.) pour contester la sincérité ou la légitimité de la démarche. Une communication jugée partiale, inéquitable, insuffisamment visible ou consistante peut être source de contentieux et fait encourir à la concertation un risque d’annulation de procédure au tribunal administratif. Sa nature, ses modalités de déploiement et ses contenus seront donc des éléments particulièrement importants dans un processus de concertation.

De fait, l’ampleur de la communication et les moyens mis en œuvre sont symptomatiques d’un vrai choix stratégique : communiquer le moins possible dans le but plus ou moins avoué de minimiser la concertation (alors vécue comme une contrainte) ou jouer pleinement la carte de la communication pour se donner les moyens d’exploiter au maximum les bénéfices attendus de la concertation (vécue cette fois-ci comme une opportunité). Les choix à opérer sont d’autant plus stratégiques qu’ils impactent fortement les coûts et les délais du projet…

LA PLACE DE LA COMMUNICATION À TOUTES LES ÉTAPES DE LA CONCERTATION

A chaque étape de la concertation correspond un moment de la communication caractérisé par des objectifs et des règles spécifiques. On peut retenir quatre temps bien identifiés de la communication.

  • Interpeller, mobiliser

L’interpellation et la mobilisation des personnes est une phase déterminante pour s’assurer d’une bonne participation de toutes les catégories de parties prenantes intéressées par le sujet concerté. Il faut que les différents publics concernés sachent qu’une concertation est organisée et qu’ils soient en situation de réception de l’information qui suivra. On a vu par ailleurs que pour éviter le syndrome du second souffle, il fallait entretenir la mobilisation des parties prenantes en permanence…
La phase d’interpellation permet de faire émerger un sujet dans le quotidien de ces publics qui ne sont pas tous conscients, au même degré du moins, de ce en quoi ils sont concernés par la question posée. L’interpellation renvoie à un questionnement individuel pour favoriser la participation de l’individu en tant que tel et non en tant que ce qu’il représente.
L’interpellation permet en outre d’identifier le maître d’ouvrage de la concertation qui s’annonce et de déclencher la phase publique de cette concertation (phase qui suit généralement le travail de cartographie des parties prenantes). Une bonne communication autour de ce moment est essentielle.

  • Expliquer, informer

L’information est une condition nécessaire à la concertation. Reste à la produire, la sélectionner, la mettre en forme et la diffuser. Il faudra également veiller à organiser les remontées d’information (qui contribueront de ce fait à la production de l’information).
Cette phase remplit quatre fonctions principales. En premier lieu, elle permet d’opérer une forme de pédagogie sur les enjeux, la démarche du maître d’ouvrage, les règles du jeu, les modalités proposées pour la participation du public et les bénéfices attendus de la concertation.
En second lieu, cette phase sert à mettre les parties prenantes au même niveau d’information et de compréhension de la question posée. Pour cela, l’information doit être large, objective, stratégique, récurrente.
En troisième lieu, cette phase doit permettre de vulgariser ou de simplifier la problématique pour la rendre accessible à l’ensemble des cibles, y compris les moins éduquées. Les dossiers de 25 kg ne sont pas rares dans certaines enquêtes publiques. C’est une méthode efficace pour écarter une grande partie du public de la concertation… Si la vulgarisation est un exercice nécessaire dans une certaine limite, elle ne doit pas exclure une information complète par ailleurs.
Enfin, on ne le redira jamais assez, cette phase sert à valoriser les parties prenantes et à entretenir leur mobilisation. Pour éviter la démobilisation de certaines parties prenantes en cours de processus, il faut informer régulièrement sur les évolutions de la concertation, rendre compte des contributions des uns et des autres, entretenir l’intérêt pour le processus en montrant sa progression et, le cas échéant, en explicitant les difficultés qu’il rencontre.

  • Stimuler, nourrir les échanges

Les moments forts de la concertation sont les moments d’échange, de discussion et de débat. Ces derniers, peuvent prendre plusieurs formes.
L’animateur devra faire preuve d’un grand professionnalisme et maîtriser la conduite des échanges pour garantir les valeurs d’écoute, de transparence, de pédagogie et de gestion des conflits qui sont autant de gages de la sincérité de la démarche participative. Quelles que soient les qualités de l’animateur, il pourra utilement s’appuyer sur des outils de communication spécifiques (supports visuels et sonores, applications numériques…) pensés et réalisés pour stimuler et nourrir les échanges entre parties prenantes.

  • Délibérer, rendre compte

L’aboutissement de la concertation, c’est sa contribution concrète à une décision à venir, sous forme d’avis, d’appréciations, de propositions, de contre-propositions, de recommandations ou de prises de position. Idéalement, cette contribution doit faire l’objet d’une délibération formelle : c’est ainsi qu’elle exprime non pas une somme d’avis individuels mais bien des jugements collectifs. Si l’on veut restaurer durablement la confiance des habitants dans les processus participatifs, il est donc particulièrement important de leur rendre compte de manière claire et honnête de ce qu’a produit la concertation. Et ceci à deux niveaux : intrinsèquement, c’est à dire en tant que production du processus participatif et incidemment, en tant qu’impact sur la décision du maître d’ouvrage.
Cette exigence de retour vers les parties prenantes mobilisées est à la fois un gage de transparence, de respect des contributions fournies et une « preuve historique » de l’issue du processus. La capacité à établir un « bilan de la concertation », document synthétisant l’ensemble du processus de concertation, mais précisant surtout l’usage qui en a été fait par le maître d’ouvrage (en quoi les contributions citoyennes ont-elles fait évoluer le projet et les décisions ?) est un défi encore trop rarement relevé par les maîtres d’ouvrage. Serait-ce le « chaînon manquant » de la participation locale ? C’est en tout cas un point ontologiquement faible de ces processus puisque la prise de décision est dans la plupart des cas, on l’a vu, exogène, c’est à dire dissociée de la discussion. Prenons garde de ne pas alimenter le doute que mesurent les enquêtes et sur lequel nous alerte Christian Le Bart : « Si certains dispositifs prétendument délibératifs et participatifs continuent de s’apparenter à des techniques stratégiques dilatoires ou à des formes de marketing politique, leurs commanditaires prennent le risque, ce faisant, de détruire l’idéal de démocratie dont ils se réclament et de miner ainsi les fondements du type de légitimité qu’ils recherchent »[4].

QUATRE « CLÉS » DE RÉUSSITE

La concertation, on l’a vu, est intrinsèquement un processus communicant. Sa conception et sa mise en œuvre sont d’ailleurs parfois confiées au directeur de la communication. Mais il arrive de plus en plus souvent qu’une direction de la Démocratie locale ou qu’un service de la Participation citoyenne soit créé pour mettre en œuvre cette politique. Voire que les directions opérationnelles se chargent directement de piloter la concertation dans le cadre des projets qui leur sont confiés. Le directeur de la communication aura alors une place à prendre dans le dispositif et un rôle essentiel à jouer pour faire connaître l’existence du processus de concertation et diffuser l’information nécessaire à la discussion publique. Il contribuera à la pédagogie des débats, en amont comme en aval et concevra une stratégie de communication spécifique propre à garantir la réussite quantitative et qualitative du processus de concertation. Sa responsabilité : contribuer à ce que tous les acteurs intéressés au débat puissent, s’ils le souhaitent, y participer.

Son attention et ses efforts devront porter en priorité sur quatre « clés » de réussite :

  1. un axe de communication interne avec la mobilisation des élus et des services concernés par le sujet concerté dès l’amont du processus et pendant toute sa durée : cet effort est particulièrement important pour garantir la sincérité de la concertation (laquelle se traduira par une cohérence entre les objectifs affichés et les moyens alloués) et sa bonne intégration dans un cheminement vers une décision ;
  2. la mise en œuvre d’une communication ambitieuse, au service des quatre missions qui lui sont assignées : interpeller, informer, faciliter l’organisation des débats et valoriser les informations produites au cours du processus de concertation ;
  3. le déploiement d’une stratégie offensive pour aller chercher les « silencieux », ceux qui pour toutes sortes de raisons se tiennent à l’écart de la relation citoyenne et que l’on a pourtant besoin d‘entendre pour que la société fonctionne bien ;
  4. la mise en perspective de la concertation, par définition circonscrite dans un temps relativement court, dans une vision de long terme, de façon à construire une relation de confiance, durable, avec les citoyens, trop souvent déçus, voire désabusés par des expériences négatives de concertations « prétextes » qui ont fini par les amener à ne plus croire à cette nouvelle manière de faire de la politique.

Source : http://www.cap-com.org/content/concertation-et-communication-un-mariage-de-raison?utm_source=R%C3%A9seau+Cap%27Com&utm_campaign=517789b283-N_395_Concertation_et_com3_19_2015&utm_medium=email&utm_term=0_144d1e3a0f-517789b283-61972441

Publié dans Concertation, citoyenneté

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